Héritier ou imposteur ?

mardi 29 mars 2016
par  Froissart
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J’ai écrit les enfances de Thierry la Fronde lorsqu’il a quatorze ans qui ont pour cadre Paris, les tours Notre-Dame. Cela m’a beaucoup amusé. Il rencontre Nicolas Flamelle, un petit juif qui porte la rouelle, un signe distinctif imposé par Saint-Louis. De tous les romans pour la jeunesse consacrés à Thierry la Fronde que j’ai écrits, c’est celui que je préfère. Il correspond à une coutume médiévale qui consistait à écrire des « enfances », comme par exemple les « Enfances d’Arthur de Bretagne », les « Enfances de Lancelot ». Jean-Claude Deret, auteur et adaptateur.

Ce roman publié chez Hachette en 1967 dans une collection destinée à la jeunesse s’intitule « Les premières armes de Thierry la Fronde  ». On y mesure à quel point le personnage de Thierry a bénéficié de la bienveillance de son créateur qui a déposé dans son berceau son savoir-faire d’écrivain, son goût pour l’histoire médiévale et ses talents de conteur. Sous sa plume, il devient un personnage bien vivant, ancré dans son époque dont la série télévisée ne nous dévoilerait, finalement, que quelques chroniques remarquables.

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Sire Anceaume, le père de Thierry… doit-on dire « sire de Joinville » ?
Les premières armes de Thierry la Fronde, Hachette, 1967, illustration de François Batet

Ainsi, on apprend à la page 7 qu’il est l’héritier de Sire Anceaume, valeureux seigneur marqué par la défaite de Crécy où il se battit sous les ordres du comte de Blois. On y apprend que sa mère fut emportée par la peste quelques jours après lui avoir donné la vie. Son meilleur ami est Renaud, apprenti sabotier, dont la sœur est Isabelle. Tous deux ont été recueillis par leur oncle Martin. On y apprend de quelle manière Thierry conquiert le nom de guerre de « Thierry la Fronde ». Il est écrit que «  … comme tous les damoiseaux, Thierry avait appris les termes compliqués de la science des blasons… (page 116) ».

Ces « enfances » permettent de dresser un portrait moral du futur héros. « Thierry était un garçon droit, honnête et dont le respect pour son père se teintait d’admiration  ». Il reçoit ce compliment d’un seigneur de sa condition : « Je te sais assez noble de cœur pour ne choisir tes amis qu’en fonction de leurs qualités morales. ». Bonté, générosité, courage sont d’autres qualités qui lui sont attribuées. On le dit doué d’intelligence et de sang-froid. On souligne qu’il sait très bien écouter pour n’en agir qu’avec plus de pertinence et de discernement.

Les péripéties qui mènent le jeune provincial dans l’entourage du roi le font grandir et fournissent à Jean-Claude Deret l’occasion de camper le portrait du Paris de 1350. Il utilise en toile de fond les luttes de pouvoir et les rivalités de la Cour de France. Cette trame fictionnelle et ce contexte médiéval représentent le paysage mental qui permet à l’auteur l’écriture des petites histoires bouclées qui composent chaque épisode de la série. C’est ce travail de claire définition du potentiel et de la personnalité de ce héros fictif qui aide à la cohérence de la série.

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Sans être un personnage authentique du patrimoine historique solognot, la biographie imaginée de Thierry la Fronde en fait un représentant crédible de la noblesse du XIVème siècle.
extrait du Journal de la Sologne et de ses environs – revue trimestrielle – été 1976

Thierry est à ce point défini, constitué dans l’imagination de son créateur, environné de l’évocation de plusieurs personnages historiques qu’on croirait volontiers qu’il a réellement existé. Jean-Claude Deret aime à jouer de cette ambigüité comme c’est le cas dans un article d’une revue d’histoire régionaliste. (Le journal de la Sologne et de ses environs – revue trimestrielle – été 1976) Elle cite le nom d’Anceaume, appelé également Ancel, fils de Jehan. Il se trouve qu’une chronique de la famille de Joinville à caractère généalogique, tout ce qu’il y a de plus authentique, mentionne parmi ses dignes représentants un Ancel dont le père s’appelle Jean, fils du célèbre auteur de l’histoire et des mémoires de Saint Louis, en droite ligne descendant du célèbre sénéchal Godefroy de Bouillon. Le dit Ancel devint maréchal de France en 1338. Il fréquenta la cour de Philippe-le-Long et mourut en 1349. (Notice sur les manuscrits du sire de Joinville par M. Paulin, librairie Firmin-Didot, 1838)
De Joinville à Janville il n’y a qu’une consonance de différence… Et puis un glissement géographique vers la Sologne car les terres de la famille de Joinville et son château sont situés en Champagne, près de Châlons-en-Champagne.

Thierry est pétri de qualités. Cependant, c’est encore insuffisant pour faire de lui un champion d’exception. Ce qui le distingue du reste de la galerie des héros télévisés réside dans les traits caractéristiques de son éducation de damoiseau ; les préceptes de la chevalerie. Le grand public s’est construit une représentation des règles de la chevalerie et des qualités requises chez une figure « chevaleresque » archétypale. Il serait d’une bravoure et d’une droiture sans faille avec un sens de l’honneur qui transcende sa condition d’homme. Au service de la veuve et de l’orphelin, il partagerait ce système de valeurs avec les autres chevaliers de son clan. Cette vision qui n’est pas entièrement erronée façonne l’écriture des héros des films médiévaux, le prototype romantique caractéristique des romans de Walter Scott. Une sorte de boucle s’établit : le cinéma montre un profil qui remporte l’adhésion du public, celui-ci plébiscite les œuvres qui vont dans ce sens et certains réalisateurs continuent de composer des personnages qui ne dérogent pas à ce stéréotype.

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Tout petit déjà, la fronde au poignet… On constate que l’illustrateur s’est inspiré du costume conçu par Gérard Collery et de la silhouette longiligne de Jean-Claude Drouot..
Les premières armes de Thierry la Fronde, Hachette, 1967, illustration de François Batet

On constate que le personnage de Thierry de Janville se construit sur un système de valeurs et un comportement moral d’exigence et dévolu aux qualités humanistes : il ne fait guère de concessions au principe de réalité dans la définition de ses buts même s’il est plus pragmatique dans les moyens qu’il se donne pour parvenir à ses fins. Ainsi, il lutte contre le racisme, il n’abuse pas des privilèges de son statut de noble et de héros, il renonce à son bénéfice personnel au profit du collectif, il ne méprise ni l’avis ni les intérêts de plus humbles que lui, il se plie aux processus des règles de la justice, il respecte la religion d’autrui, il manifeste du respect pour les femmes. Tout ceci fait que Thierry, sans être ni timoré ni austère, apparaît jeune et « moderne » aux téléspectateurs. Il ne tient guère en place, se réalise dans l’intense activité avec un petit côté « boy-scout » indéniablement. Ses aspirations ne sont pas étrangères à celles de la jeunesse des années 1960.