La course aux moyens

lundi 13 avril 2015
par  Froissart
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Même si les années 1960 offrent encore de vastes territoires vierges en matière de législation sur les produits dérivés, et pour cause puisque les évolutions de la télévision explorent de nouvelles pratiques en matière de production et d’exploitation d’œuvres audiovisuelles, Thierry la Fronde a connu sur ce plan ses heures de flottement. La quête de la ressource financière relève d’une lutte permanente, la santé de Télé France films reste tributaire de son diffuseur qui est la RTF puis l’ORTF qui lui succède à partir de 1964.

Je n’étais pas directement chargé des aspects financiers. Ce que je peux dire c’est que nous nous devions d’avoir en tête ce que coûtait un épisode parce que le coût moyen se calculait généralement par épisode. Il fallait bien sûr, réserver tant pour les comédiens, tant pour les repas, tant pour les déplacements etc. Cela correspond au rôle d’un directeur de production. Pour Thierry la Fronde, on ne peut pas dire qu’il y ait eu véritablement un directeur de production. Guez était un copain de Canello. J’étais capable de prendre l’initiative, de dire que le texte ne me plaisait pas, que tel comédien ne faisait pas l’affaire. Guez pouvait le faire aussi. Canello voyait le résultat tous les quinze jours en projection. Il disait simplement : « Refaites cette scène, elle n’est pas bien. ». Il n’y avait pas comme on le voit aujourd’hui, de directeur artistique, pas de producteur qui tous les jours allait aux rushes. Après, c’est moi qui me tapait toutes les projections du soir. C’était beaucoup de travail mais ça me plaisait. J’étais à l’aise parce que c’était mon but.

J’intervenais donc plutôt en tant que producteur délégué, je disposais d’un budget mais je suppose que Canello avait vendu la série un peu plus cher. A partir du moment où c’était une commande de la chaîne, il y avait un contrat avec toutes les clauses voulues de temps, de durée et financières. Après, qu’ils vous paient à l’heure, ça c’est autre chose. La télévision a fait couler des boîtes, c’était quelque chose d’épouvantable ! Il pouvait y avoir deux, trois mois de retard. J’ai connu des entreprises qui ont plongé parce qu’elles ont été obligées de demander des avances aux banques qu’elles n’ont pas pu rembourser à l’heure prévue parce que la télévision traînait, traînait, traînait.

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Janique Aimée, un autre succès de l’écurie Télé France films
Novembre 1963 : Claude Matalou, de face le long du bar, participe au tournage d’un des épisodes.

Les comédiens permanents importants avaient des contrats. La société disposait forcément d’avances. Monternot, le responsable de la finance chez Telfrance, faisait des appels aux banques. Nous avions trois banques dont une à Rambouillet. Michel Canello m’avait demandé de m’organiser de cette façon : « Voyez untel et untel à la chaîne et ici, tous les mercredis, vous me dites où on en est. ». Le mercredi matin était le jour de la réunion, comme le Conseil des ministres, en quelque sorte ! On se réunissait à 8h30 au Perray : Canello, Monternot, moi et puis encore une ou deux personnes. A dix-onze heures, c’était terminé.

On m’octroyait une somme d’argent au début. Je faisais mes comptes comme on tient sa trésorerie personnelle. Il fallait que j’alimente les régisseurs sur place. On ne pouvait pas prévoir un mois à l’avance les locations de décors. Il arrivait parfois que j’aille trouver Monternot parce que je n’avais plus un rond. Surtout dans les semaines chargées où je devais régler des locations de matériel, une voiture ou autre chose. Il me faisait son numéro mais ne pouvait pas faire autrement que fournir, on n’allait pas arrêter la production.
Thierry la Fronde n’était vraiment pas bien payé par la chaîne. Le fait que la première série ait eu du succès ne nous a rapporté rien de plus, financièrement parlant. Si ce n’est qu’il a permis à Canello et au comptable d’aller discuter auprès de la chaîne. Pour chaque nouvelle saison, nous avons bénéficié d’une augmentation. Au niveau du rendu à l’écran et au niveau financier, on peut considérer ça comme correspondant encore aux débuts de la télévision. Il fallait faire avec… (Claude Matalou, producteur délégué)

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Thierry la Fronde et Rocambole (interprété par Pierre Vernier).
Tous deux font les beaux jours de Télé France films.

Mais le contrat décroché pour Thierry la Fronde et Rocambole, une autre série de renom de Telfrance correspond à une période où l’entreprise se dote des moyens les plus efficaces pour pérenniser sa position de leader. Adieu les bureaux parisiens, inadaptés et exigus. La construction des studios du Perray-en-Yvelines est lancée. Le site est tout proche de la forêt de Rambouillet où se tourne une bonne partie des extérieurs de Thierry la Fronde. Claude Matalou est étroitement associé à ce chantier qui marque un changement d’échelle dans la capacité de production de Telfrance.

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Les installations du Perray-en-Yvelines.
Elles se présentent ainsi en 1985 et témoignent de l’activité et du dynamisme de l’entreprise.

Pendant la réalisation de Thierry la Fronde, ça n’était pas possible de travailler en même temps sur une autre production. A cette époque, Canello m’avait confié la partie technique liée à la construction du futur plateau de tournage. Canello m’avait demandé de suivre l’architecte et les chefs de bâtiment pour éviter des erreurs. Pour le plateau surtout. Je connaissais très bien la question. Les facilités dont il fallait disposer pour l’éclairage parce que sinon, nous perdions du temps. La société de construction et les architectes me regardaient un peu abasourdis « Vous êtes certain que c’est ce que vous voulez ? ». Je répondais qu’ils ne s’inquiètent pas, c’était mon problème.
Après la première saison, on a commencé à sortir de notre trou. Par la suite, on a monté ce qui n’était pas encore tout à fait une deuxième équipe, parce qu’on n’était pas assez nombreux. Et puis, jusqu’en 1990, à peu près, on a pu constituer deux équipes de tournage.
En 1968-69, je suis devenu le responsable de toute la technique de la société Telfrance. Je dirigeais les soixante-dix personnes des équipes techniques. C’était un travail formidable parce qu’on était avec des amis, entre autres Philippe Sanson qui est venu un peu plus tard. Il y avait le respect de l’autorité technique et administrative mais on le vivait entre copains. La maison se composait de trois studios, d’un restaurant. J’y suis resté jusqu’à ma prise de retraite, en 1991, à soixante-sept ans, j’y occupais alors la fonction d’administrateur, de responsable technique… (Claude Matalou, producteur délégué)

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Le logo de Telfrance en 1985.

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