Les débuts deTélé France films

dimanche 5 avril 2015
par  Froissart
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Le processus de réalisation de Thierry la Fronde peut se résumer dans cet enchaînement d’étapes « écrire – préparer – filmer – monter – peaufiner - assurer le passage à l’antenne ». On imagine que les compétences, le matériel, les coopérations indispensables en jeu sont considérables.

Ces moyens imposent l’organisation d’un projet très structuré. L’émergence des outils numériques apporte aujourd’hui quelques raccourcis à l’intérieur de quelques opérations de cette chaîne mais ne supprime aucune de ces étapes. Rien ne remplace non plus les hommes et les femmes indispensables avec leur expérience, leur implication et leur capacité à travailler en équipe.

Cette mobilisation de talents et de matériel nécessite une connaissance de toutes les filières professionnelles qui interviennent dans la réalisation d’une série. Elle exige une gestion sans faille des moyens financiers. Elle réclame aussi une compétence qui est opaque pour le grand public : la capacité de coordonner tout et dans le bon tempo. Le but est que chacun des professionnels engagés dans le projet puisse se consacrer le plus sereinement à la tâche pour laquelle on a fait appel à lui. Cette immense et intimidante besogne intervient dans la production. La responsabilité en est assumée par le producteur. Ou plus exactement par le producteur exécutif, cet homme-orchestre qui agit au nom de la société de production qui l’emploie.

Le directeur de la production mentionné au générique de Thierry la Fronde est Roger Deplanche. La parole revient à son partenaire Claude Matalou d’abord crédité comme directeur de la photographie pour les treize épisodes de la première saison.

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Claude Matalou est à l’image.
Il participe alors au tournage d’un des feuilletons produits par Télé France films avant Thierry la Fronde..

Au début du feuilleton, pendant la première série, je faisais partie de l’équipe de tournage, j’intervenais en tant que directeur de la photographie. J’ai abandonné la prise de vue sur la deuxième saison de Thierry la Fronde. Jean-Jacques Guyard m’a remplacé comme chef opérateur. A partir de là, je me suis entièrement consacré à la production. Je m’étais rendu compte que je ne pouvais pas tout faire, être directeur de la photo et assumer la responsabilité de l’ensemble au service de Télé France films qui avait décroché ce marché. J’étais, en quelque sorte, l’œil de la production. Comme je suis un homme sérieux, je partais avec l’équipe, je ne restais pas chez moi. Toute la journée, je restais là. Je discutais avec l’un ou avec l’autre, je supervisais. C’était comme ça, c’est mon caractère. (Claude Matalou, producteur délégué)

Le moment est venu de nous intéresser à la société de production à qui nous devons Thierry la Fronde. Son ascension est indissociable des évolutions du feuilleton à la télévision française. Elle s’appelle à cette époque Télé France films, elle est dirigée par Michel Canello à l’origine de sa création en 1949.

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Le succès du moment pour Telfrance

Nous la connaissons aujourd’hui sous le nom de Telfrance. Le feuilleton « Plus belle la vie » qu’elle produit depuis 2004 est donc le maillon d’une chaîne qui passe par Thierry la Fronde.

La télévision ne peut se passer des compétences des producteurs. Le cas Thierry la Fronde offre une occasion privilégiée d’assister à la montée en puissance des producteurs du secteur privé. Une évolution importante dans l’histoire de la télévision. En effet, jusque dans les années 1960, les émissions sont très majoritairement réalisées en interne. La production privée n’intervient alors que marginalement. Les producteurs privés sont très peu nombreux à être sollicités pour répondre aux commandes de la RTF. Ils le sont principalement dans le domaine du feuilleton. Pourquoi ? Parce que la production de fictions, telles que conçues par les réalisateurs de la RTF est particulièrement lourde et coûteuse. Ce qui laisse un peu de champ libre à une forme de sous-traitance avec des sociétés de production privées.
En attendant, la direction de la RTF manœuvre de façon très prudente du fait que le personnel est très vigilant à ne pas être dépossédé de commandes qu’il peut effectuer en interne. La loi qui régit la RTF lui confère une situation de monopole en matière de production. C’est-à-dire qu’elle ne peut concéder à qui que ce soit l’élaboration de ses programmes. Elle est tenue de faire travailler ses personnels pour la conception, la production, la réalisation et la diffusion de ses programmes. Seul le Parlement peut modifier cette disposition. Ce qu’il fera en 1964 en entérinant le fait que le directeur général peut faire appel « à tous les moyens qu’il juge nécessaires ». Le nombre d’heures diffusées fait plus que doubler entre 1952 et 1964. Il s’élève à 3 000 heures du fait de la création de la deuxième chaîne, en 1964. On passe à 6 800 en 1974, au moment où disparaît l’ORTF au profit de la création de TF1, Antenne 2 et FR3. L’augmentation du volume horaire de diffusion débouche sur le recours au secteur privé. En effet, le budget étant basé sur la redevance, les recettes n’augmentent pas en proportion du volume de programmes à fournir. Les réalisateurs de la télévision ne sont pas enthousiasmés par la perspective de travailler dans la précipitation avec des moyens qui leur seraient comptés. L’expérience des collaborations avec des sociétés comme Télé France films apporte la démonstration qu’elles savent produire dans des délais courts et avec une souplesse qui permet d’enchaîner les séries à la demande et sans délai. Cette mutation va dans le sens du Vème plan quinquennal, lancé en 1966 et conçu sous l’égide de Charles de Gaulle, président de la république. Puisque des objectifs de rentabilité sont assignés aux entreprises publiques, on estime que l’amélioration de leurs performances devra passer par la mise en concurrence avec celles du secteur privé.

En tant qu’homme très ouvert, Michel Canello voyait se profiler l’avenir de la télévision qui commençait tout doucement avec les séries, les feuilletons. Il avait passé une grande partie de sa jeunesse aux Etats-Unis et au Canada. Il avait été, là-bas, témoin de tout l’effort qui était fait pour la télévision ; spécialement pour les séries, les dramatiques. Il a décidé de monter en France cette société qui s’est appelée « Télé France films ». (Claude Matalou, producteur délégué)

L’ascension de Télé France films prend appui sur des liens étroits avec le Canada. La société, autour de 1960, réalise un quart de son activité avec des coproductions RTF, le reste avec le Canada. La trésorerie se constitue autour des financements canadiens, de ceux de la RTF et du produit des ventes des droits à l’étranger pour un tiers au moins. L’histoire de la montée en puissance de Télé France films nous permet de croiser plusieurs des personnalités majeures de l’aventure Thierry la Fronde.
Jean-Claude Deret, par exemple, a noué des liens de travail avec Télé France films en tant que comédien avant de proposer son projet de série qui deviendra Thierry la Fronde :

Je suis devenu canadien donc j’ai un passeport canadien. Canello a fait beaucoup de coproductions avec le Canada. Je connaissais bien Suzanne Avon, une amie canadienne, la femme de Fred Mella des Compagnons de la chanson. Elle tournait chez Canello des séries destinées au Canada. Elle a donné mon nom à Michel Canello qui cherchait un comédien canadien pour une série policière en coproduction avec le Canada. Il fallait qu’il y ait un des comédiens principaux qui soit canadien. Il était embêté à cause de l’accent. « Mais, vous êtes canadien ? » « Oui, j’ai mon passeport canadien. » « ça me suffit ». J’ai tourné du coup avec Pierre Goutas des petites séries puis une grande série policière très classique avec des enfants, un trésor caché qui est passée à l’antenne en 1961. Parmi les enfants, il y en avait un qui avait onze ans, qui s’appelait Patrick Maurin et qui est devenu Patrick Dewaere.(Jean-Claude Deret, comédien et auteur)

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La Déesse d’or au générique du feuilleton

Il s’agit de La Déesse d’or dont le réalisateur n’est autre que Robert Guez. Télé France films est en coproduction avec Crécifilms sur ce feuilleton. Crécifilms réalisera un feuilleton consacré au chevalier Bayard qui passera à la télévision en 1964.

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Un carton du générique de la Déesse d’or

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